L’impôt mondial de 15% sur les bénéfices des multinationales a intégré le Projet de loi de finances pour 2024. Il s’agit de la transcription, dans la loi française, de la directive européenne 2022/2524 (également appelée “pilier 2”).
L’occasion pour Valoxy, cabinet d’expertise comptable dans les Hauts-de-France, de rappeler l’origine et les principes de ce nouvel “impôt mondial”.
—Un groupe de travail OCDE/G20 élargi
Les pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et du G20 échangent depuis de nombreuses années sur la réforme “en profondeur” du système fiscal international. Ils ont créé, avec d’autres pays, institutions et organisations internationales, un groupe, appelé “Cadre inclusif”, qui rassemble plus de 140 membres.
Ce groupe de travail réfléchit à une solution face aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie.
—L’érosion de la base d’imposition
Cette réflexion part du constat de l’érosion de la base d’imposition et des transferts de bénéfices. (BEPS, pour “base erosion and profit shifting”). Elle se réfère aux stratégies d’optimisation fiscale. Celles-ci exploitent en effet les failles et les différences entre les règles fiscales nationales et internationales. Elles permettent aux très grandes entreprises de transférer artificiellement des bénéfices dans des pays ou territoires où elles ont peu d’activité réelle, mais où elles sont faiblement taxées. Leur charge fiscale devient alors faible, voire nulle.
En conséquence, et même si la plupart de ces dispositifs n’ont rien d’illégal, cela nuit à l’équité et à l’intégrité des systèmes fiscaux. Les grands groupes qui opèrent dans plusieurs pays peuvent utiliser des stratégies d’érosion de leur base d’imposition et transférer leurs bénéfices. Ils en obtiennent un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises plus petites, ou qui ne travaillent qu’à un niveau national.
Cette problématique BEPS représente donc un enjeu d’une très grande importance pour tous les pays, et particulièrement pour les pays en développement. Leurs recettes dépendent en effet beaucoup plus de l’IS que d’autres États.
Le “projet BEPS” synthétise ces échanges et réflexions.
—Un projet de réforme fiscale mondiale
Les membres du “Cadre inclusif” se sont mis d’accord en Octobre 2021 sur la réforme du système fiscal mondial. Leur solution s’appuie sur deux piliers (les piliers 1 et 2) :
- Le “Pilier 1” a pour but de mettre en place de nouvelles règles de répartition des droits d’imposition des bénéfices des groupes. (Directive européenne 2022/2523). Il s’agit de faire en sorte que les pays où sont réalisés les bénéfices en profitent effectivement.
- Le “Pilier 2” introduit un impôt minimum mondial sur les sociétés au taux de 15 % qui s’appliquera aux entreprises multinationales réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 750 M€. (Directive européenne 2022/2524). Ici, le but est d’établir des règles visant à réduire les possibilités d’optimisations fiscales afin que les plus grands groupes multinationaux paient un taux minimum d’impôts. Les États de l’Union européenne ont adopté la directive “Pilier 2” le 16 décembre 2022.
—“Pilier 1” – Nouveau droit à imposer
Son but est de mettre en place de nouvelles règles de répartition des droits d’imposition des bénéfices des grands groupes multinationaux, avec deux objectifs :
- l’instauration d’un nouveau droit d’imposition (montant A) pour les groupes multinationaux dont le CA consolidé dépasse 20 milliards € et dont la rentabilité est supérieure à 10 %. (Hors industries extractives et services financiers) :
- 25 % des profits avant impôt consolidé,
- sur une fraction du bénéfice consolidé avant impôt résiduel des groupes multinationaux,
- au profit des juridictions dans lesquelles sont consommés ou utilisés les biens ou services.
- l’application simplifiée des règles de “prix de transfert” en attribuant un montant de rentabilité minimale (« montant B »).
L’objectif de mise en place du “pilier 1”, même repoussé de 2023 à 2024, semble cependant encore utopique.
—“Pilier 2” – Taux minimum d’imposition
Le pilier 2 vise à instaurer un taux d’imposition minimum (15 %) par l’application des règles dites “Global Anti-Base Erosion Rules” (Règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition, ou Règles GloBE). Ce mécanisme repose sur deux règles :
- la règle d’inclusion du revenu (RIR) prévoit le paiement d’un impôt complémentaire par l’entité mère ultime (ou une holding intermédiaire dans certaines situations) dans sa juridiction d’établissement si l’impôt payé dans l’une des juridictions étrangères par l’ensemble de ses filiales et succursales est inférieur au taux “global” de 15 %.
- la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII) qui prévoit, lorsque les règles GloBE n’ont pas été adoptées dans le pays de la société mère ultime, que le paiement de l’impôt complémentaire déterminé de la même façon que pour la RIR soit mis à la charge de l’ensemble des sociétés du groupe par le biais d’une clé de ré
Les règles GloBE devraient s’appliquer aux groupes dont le CA consolidé dépasse 750 millions d’€ pendant au moins deux années consécutives sur les quatre derniers exercices.
Comme mentionné plus haut, les 27 Etats membres de l’UE ont formellement adopté ce “pilier 2” dans la directive européenne 2022/2523 (Décembre 2022). Ils devront la transposer dans leurs propres législations avant le 31 Décembre 2023 pour une application :
- de la RIR à compter de 2024 (exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023),
- de la RPII à compter de 2025 (exercices ouverts à compter du 31 décembre 2024).
—Projet de loi de Finances
Ainsi, le projet de loi de finances 2024 instaure l’impôt mondial de 15% minimum sur les multinationales. Dans un premier temps, l’entreprise déterminera un “résultat qualifié” du groupe pour chaque exercice. Il correspond au résultat net comptable de l’exercice. (conformément à la norme de comptabilité financière utilisée pour établir les états financiers consolidés).
En cas de “bénéfice qualifié” (résultat positif), le taux effectif d’imposition (TEI) du groupe se calculera pour chaque exercice et chaque État dans lequel les entités se situent : ce taux est égal au rapport entre le total des montants corrigés des impôts couverts et le bénéfice des entités dans chaque État.
L’impôt complémentaire n’est pas dû si l’une des conditions suivantes est remplie :
- Le CA des entités situées dans l’État est inférieur à 10 millions d’€ et la somme des bénéfices et perte de ces entités (avant impôt) est négative ou inférieure à 1 million ;
- Le TEI est supérieur ou égal au taux minimum d’imposition transitoire (TMIT). Celui-ci est égal à :
- 15 % pour les exercices ouverts en 2024,
- 16 % pour les exercices ouverts en 2025,
- 17 % pour les exercices ouverts en 2026.
L’impôt complémentaire sera dû lorsque le TEI est inférieur au taux minimum d’imposition. Il est calculé de la manière suivante, et séparément pour chaque État ou territoire :
Impôt complémentaire = (taux minimum d’imposition – TEI) x bénéfices
—Conséquences de l’impôt mondial de 15% pour les comptes consolidés au 31 décembre 2023 ?
Puisque le PLF pour 2024 a transposé la directive “Pilier 2”, les groupes français visés par l’impôt mondial de 15% (CA consolidé annuel supérieur à 750 M€ sur au moins deux des quatre derniers exercices) devront calculer un taux effectif d’impôt (TEI) selon les règles GloBE dans chacune des juridictions où ils opèrent, et seront redevables d’un impôt complémentaire si ce taux est inférieur au taux minimal de 15 % dès 2024.
Compte tenu d’un calendrier aussi serré pour se conformer aux exigences comptables et fiscales induites par le dispositif GloBE dans le calcul de leurs impôts différés, l’autorité des normes comptables (ANC) a introduit dans son règlement :
- l’exception à la reconnaissance d’impôts différés (ANC n°2020-01),
- l’exception à la comptabilisation des actifs et des passifs d’impôts différés liés à l’application des règles GloBE de manière définitive (ANC n° 2023-02, en cours d’homologation), comme dans les règles IFRS.
Ces exceptions s’appliquent à la condition que les groupes concernés fournissent dès le 31 décembre 2023 dans leur annexe des informations qualitatives et, le cas échéant, quantitatives sur leur exposition à l’imposition minimum mondiale.
Ainsi les informations qualitatives préciseraient les entités et les régions exposées, etc. Quant aux informations quantitatives, elles pourraient indiquer la proportion des bénéfices d’une entité potentiellement soumise à l’impôt minimum mondial et le taux d’imposition effectif moyen applicable à ces bénéfices, etc.
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