« À défaut d’indication statutaire, la part de chaque associé dans les bénéfices est proportionnelle à sa part dans le capital social”. Peut-on néanmoins déroger au principe d’égalité ? Décider de distribuer des dividendes inégalitaires ? Pour quelles raisons, dans quels objectifs ?
Valoxy, cabinet d’expertise comptable dans les Hauts-de-France explique dans cet article les dividendes inégalitaires et leur utilité.
Peut-on déroger à la règle d’égalité ?
Lors de l’assemblée générale ordinaire (AGO), les associés votent l’approbation des comptes de l’exercice. Ils décident de la distribution, ou de la mise en réserve, du bénéfice distribuable. L’entreprise mettra alors le dividende en paiement, proportionnellement à la part de chaque associé dans le capital social. Sauf disposition contraire prévue dans les statuts de la société, le bénéfice distribuable d’une société se répartit (art. 1844-1 du Code civil, créé le 1er Juillet 1978) proportionnellement à la part dans le capital social de chaque associé.
Peut-on cependant imaginer que les associés distribuent ces dividendes de manière inégalitaire par rapport aux apports de chacun ? L’aménagement des statuts, la rédaction d’une convention dérogatoire aux statuts (extra statutaire) peuvent, dans certains cas, répondre à cette question.
L’aménagement des statuts
Pour déroger à la règle d’égalité, il faut donc que les statuts prévoient une répartition différente, et donc inégalitaire. Si elle intervient pendant la vie de la société, la modification des statuts ne peut se faire qu’après un vote à l’unanimité des associés, lors d’une assemblée générale extraordinaire (AGE). Cette clause inégalitaire (ou les statuts initiaux de la société) peut prévoir :
- un partage égal des bénéfices malgré des apports inégaux,
- un partage inégal malgré des apports identiques,
- une double clé de répartition (nombre de parts ou d’actions/apport en CA de chacun)
- un premier dividende “privilégié” pour certains associés,
- une répartition (inégalitaire) qui favorise des fondateurs associés minoritaires,
- et, dans les sociétés par actions, des droits financiers particuliers attachés à certaines actions dite “de préférence” :
- un “premier dividende” (“privilégié”), c’est à dire un droit particulier sur une fraction des bénéfices pour certains associés,
- un superdividende, qui correspond à un dividende additionnel par rapport à celui versé à toutes les actions,
- un dividende majoré, qui donne aux titulaires d’actions de préférence, un droit au bénéfice supérieur à celui des autres actions. Par exemple un dividende majoré (maximum de 10 %), pour avantager les actionnaires fidèles qui détiennent des actions depuis au moins 2 ans….
La seule limite consiste à ne pas priver un ou plusieurs associés de la totalité de son (leur) droit aux bénéfices. Ou à le (ou les) exonérer de la totalité des pertes, ce qui serait constitutif d’une “clause léonine”.
Les actions de préférence
Les sociétés peuvent prévoir des “actions de préférence”. Elles sont assorties, de manière temporaire ou permanente, de droits particuliers de toute nature. Ainsi peuvent-elles bénéficier de privilèges spécifiques en matière de distribution de dividendes, comme l’attribution :
- d’une quote-part supérieure de bénéfices par rapport aux actions ordinaires,
- d’un dividende préciputaire. Il s’agit d’un dividende prioritaire par rapport aux actions ordinaires, qui peut être lié à un risque plus élevé, à un investissement plus important, etc.
- de dividendes cumulatifs (en prélevant, quand les bénéfices de l’année ne le permettent pas, sur les bénéfices ultérieurs),
- d’un dividende progressif ou dégressif suivant les résultats de la société.
À noter que ces différents “privilèges” peuvent être cumulés.
La rédaction d’une convention dérogatoire
Cette convention dérogatoire doit être ponctuelle, précise, et personnelle. Elle doit être limitée dans le temps, occasionnelle, et doit correspondre à un acte “circonstancié”. Elle doit aussi, pour être opposable au fisc, être enregistrée auprès du centre des impôts :
- avant la clôture de l’exercice pour une société de personnes,
- avant la date d’AG pour une société de capitaux.
Une convention dérogatoire peut se fonder sur la volonté de :
- récompenser des salariés ayant eu une contribution importante à la société,
- fidéliser des salariés importants, voire essentiels pour l’activité de l’entreprise,
- faciliter le rachat des titres de la société pour assurer sa pérennité. Par exemple en favorisant – grâce aux dividendes inégalitaires – la structure d’un fils qui rachète à son père (ou sa fratrie) des titres de la structure d’exploitation, etc.
Que dit la loi ?
-> Sur la possibilité d’une dérogation conventionnelle
Il convient de se référer à l’article 1844-1 du Code civil :
- Principe : la répartition des bénéfices s’effectue conformément aux statuts. À défaut d’indication statutaire, la part de chaque associé dans les bénéfices représente sa part dans le capital social.
- Exception : sous réserve de la clause léonine, c’est-à-dire de ne pas attribuer la totalité des bénéfices à un associé ou l’exonérer de la totalité des pertes, il existe la possibilité de déroger aux statuts pour effectuer une distribution inégalitaire de résultat.
-> Sur les caractéristiques de la convention
La dérogation conventionnelle, extra-statutaire, est en principe ponctuelle et temporaire. Elle ne peut modifier les statuts définitivement. Elle présente un caractère « personnel », c’est à dire qu’elle s’applique à des personnes individuellement et nommément désignées. Et ce au contraire des statuts, qui se caractérisent par un aspect « impersonnel ». Ces derniers ont en effet vocation à s’appliquer indistinctement à tous les associés, présents ou futurs. Ainsi, par opposition, la modification statutaire serait définitive et générale.
-> Sur les conditions de validité
La convention doit être :
- Postérieure à l’insertion dans les statuts de la clause à laquelle il est dérogé ;
- Approuvée à l’unanimité des associés ;
- Pour les sociétés de personnes, elle doit être régulièrement conclue avant la clôture de l’exercice. Et portée à la connaissance des tiers pour produire son plein effet sur le plan fiscal. L’administration estime que pour lui être opposables, de tels actes ou conventions doivent être régulièrement conclus et enregistrés avant la clôture de l’exercice.
- Pour les sociétés de capitaux, ce n’est pas la date de clôture de l’exercice mais la date d’AG approuvant les comptes et distribuant les dividendes qui importe.
L’administration fiscale exige en outre que ces actes ou conventions soient conformes aux dispositions du Code civil.
Quels sont les risques ?
Il existe cependant des risques de requalification ou d’abus de droit :
Requalification par l’administration en donation indirecte :
- La jurisprudence (Cass. com. 18-12-2012 n° 11-27.745) retient qu’en participant à la décision, émanant d’un organe social, de modifier la répartition de la part de chaque associé dans les bénéfices d’une société, des associés ne peuvent avoir consenti une donation ayant pour objet un élément de leur patrimoine. Les bénéfices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n’ont pas d’existence juridique avant la constatation de l’existence de sommes distribuables par l’organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé. Dès lors, des associés, n’ayant été titulaires d’aucun droit, fût-il affecté d’un terme suspensif, sur les dividendes attribués à leurs enfants, soumis à l’imposition litigieuse, n’ont pu consentir aucune donation ayant ces dividendes pour objet.
Procédure de répression des abus de droit :
- En fonction du contenu de la convention, l’administration se réserve le droit d’invoquer la procédure de répression des abus de droit. (BOI-BIC-CHAMP-70-20-10-20 n° 190). La jurisprudence semble néanmoins sur ce point plutôt favorable au contribuable, mais l’administration peut s’avérer tenace… « Le risque d’une remise en cause effective d’une convention dérogatoire sur le fondement de l’abus de droit paraît toutefois « extrêmement réduit » en pratique », estiment Les éditions Francis Lefèvre. (Mémento sociétés civiles n°62602).
Il faut donc rester prudent, et faire preuve de “réalisme” afin d’éviter toute mauvaise surprise. Même si l’utilisation de dividendes inégalitaires peut avoir pour conséquence une transmission de valeur, cette transmission devra reposer sur des justifications économiques, et ne pas être motivée par des considérations principalement fiscales.
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