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Le plafonnement des indemnités aux Prud’hommes

Afin d’éviter les excès et les surprises de certaines décisions, la loi El Khomri (Loi Travail) de 2016 avait fixé, en mois de salaire brut, un plafonnement des indemnités aux Prud’hommes. Il suivait les ordres de grandeur des plafonds que le ministre de l’Economie d’alors (E. Macron) avait préconisé dans son texte pour les TPE/PME.

Le Conseil Constitutionnel avait validé cet “encadrement” en Mars 2018. Depuis, un certain nombre de décisions des prud’hommes, un peu partout en France, n’ont pas suivi ce barème. La Cour de Cassation a de nouveau tranché, le 11 mai 2022. Les tenants de la sécurité juridique pour les entreprises ont gagné.

Valoxy, cabinet d’expertise comptable dans les Hauts-de-France, revient ici sur la genèse de ce dispositif, aussi appelé “barème Macron”, et les conséquences de son rejet par certaines juridictions.

 

Une demande de longue date du patronat

Les organisations patronales demandaient depuis longtemps un encadrement des indemnités aux Prud’hommes. Elles accusaient, pêle-mêle :

  • le manque de visibilité financière,
  • la quasi impossibilité de licencier une personne sans justifier de trop nombreux motifs strictement encadrés,
  • l’angoisse de commettre une erreur procédurale,
  • le versement d’indemnités abusives en cas de conflit.

Ces arguments sont des freins à l’embauche pour la majorité des TPE/PME, même si la loi Travail avait élargi les conditions du licenciement économique à quelques motifs supplémentaires, jugés encore insuffisants par ces organisations. La question d’un plafonnement des indemnités versées aux Prud’hommes par l’employeur était restée trop longtemps sans réponse.

 

Plafonnement des indemnités aux Prud’hommes

Issu des ordonnances qui ont réformé le Code de travail en 2017, un barème (dit « Barème Macron ») fixe cette indemnité, plafonnée.

En cas de licenciement abusif ayant mené à un contentieux prud’homal, et lorsque le juge reconnaît que le licenciement n’est pas justifié, et sans cause réelle et sérieuse, il peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une des parties refuse cette réintégration, le juge attribue au salarié une indemnité dont le montant est encadré dans ce barème. Les indemnités maximales proposées dépendent de l’ancienneté du salarié. La taille de l’entreprise (inférieure ou supérieure à 11 salariés) ne joue que sur les montants minimum à verser aux salariés ayant moins de 10 ans d’ancienneté.

Pour rappel, ce barème ne s’applique pas dans certaines situations, et notamment en cas de nullité du licenciement en raison de faits de harcèlement, ou suite à une discrimination. Il n’y a alors pas de plafond mais uniquement un plancher qui correspond aux salaires des 6 derniers mois.

Ce plafonnement des indemnités prud’homales avait été pensé pour permettre aux entreprises de bénéficier d’une certaine “sécurité”. Et de ne plus être confronté à la “loterie” que peuvent parfois représenter les décisions de Justice.

Ainsi un salarié ayant 10 ans d’ancienneté ne pourrait plus recevoir une indemnisation de plus de 10 mois. Un salarié ayant 30 ans d’ancienneté ne pourrait plus recevoir plus de 20 mois. (indemnisation maximale).

 

Rébellion des juges ?

Or un certain nombre de décisions de prud’hommes, un peu partout en France, n’ont pas suivi ce barème.

Ainsi le 13 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes de Troyes a-t-il « retoqué » le barème. Il a imposé des indemnités “plus adéquates”, et accordé 9 mois de salaire à un salarié qui avait 3 ans d’ancienneté. (au lieu des 4 prévus par le barème). Les juges avaient tenu compte de la situation particulière du salarié, qui, au regard de son âge (plus de 55 ans), aurait eu plus de difficultés à retrouver un emploi.

Ainsi, par jugement du 17 janvier 2019, le conseil de Prud’hommes d’Angers a-t-il octroyé 12 mois de salaire à titre de dommages et intérêts  à une salariée qui avait 12 ans d’ancienneté. (soit un mois de plus que le montant maximal imposé par le barème). Il jugeait que « le barème était contraire à l’article 24 de la charte sociale européenne ».

De même le conseil de Prud’hommes d’Agen, par jugement du 5 février 2019 a-t-il doublé les indemnités plafonnées du “barème Macron”. Le Conseil estimait en effet qu’il ne permettait pas dans tous les cas une réparation appropriée… Et que le montant n’était pas suffisamment élevé “pour dissuader l’employeur de licencier son salarié”.

Ainsi, dans son jugement du 26 avril 2019, le conseil de Prud’hommes de Martigues a-t-il écarté l’application du barème. Les juges prud’homaux l’ont estimé contraire aux normes internationales, violant des dispositions de la Charte sociale européenne, la convention de l’OIT et le droit à un procès équitable.

Ainsi le 16 Mars 2021, la Cour d’Appel de Paris a-t-elle jugé que “le montant prévu par le barème ne permet pas une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi” par une salariée de 53 ans. Et a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse… En condamnant l’employeur à lui verser 32 000 €, là où le barème n’en prévoyait que 17 000 maximum.

Etc.

 

Rappel

Le Conseil constitutionnel avait validé le barème dans sa décision (n°2018-761 DC) du 21 mars 2018. Cependant, il ne se prononçait alors que sur la conformité d’une loi à la Constitution et non aux textes internationaux.

Le Conseil d’État a rejeté en décembre 2017 une argumentation identique à celle qui était invoquée devant les conseil de prud’hommes pour invalider le barème. (CE Réf. Ord. 7 décembre 2017, n°415.243).

La Cour de Cassation avait une première fois tranché ce dilemme le 17 juillet 2019 (Avis 15012). Elle avait estimé que cette mesure respectait les conventions internationales. Elle a reconnu une seconde fois la validité du barème Macron le 15 Décembre 2021. Reconnaissance renouvelée du barème ce 11 Mai 2022.

Ces décisions n’empêchent pas les juges d’apprécier si le barème Macron ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné. Mais il suffit d’avoir assisté à des conciliations et des jugements prud’homaux pour apprécier la qualités de ces instances. Elles n’avaient nul besoin de polémique ni d’entrave à leur bon fonctionnement.

 

En conclusion

Le débat fait donc rage entre, d’une part, les tenants d’une appréciation individuelle et personnalisée du préjudice subi, (et son indemnisation intégrale), et, d’autre part, ceux d’une plus grande homogénéité des décisions de Justice. Pourquoi en effet le même cas devrait-il avoir des conséquences financières différentes entre deux juridictions ? N’y a-t-il pas là un “deux poids – deux mesures” incompatible avec une bonne justice, comprise par tous ?

La Cour de Cassation a donc de nouveau tranché sur le plafonnement des indemnités aux Prud’hommes, le 11 mai 2022. Les tenants de la sécurité juridique pour les entreprises ont, cette fois encore, gagné. Pour la Cour, non seulement “le droit français permet une indemnisation raisonnable du licenciement injustifié”, puisque le barème “tient compte de l’ancienneté du salarié et de son niveau de rémunération”, mais son application dépend aussi “de la gravité de la faute commise par l’employeur”. Cette décision devrait s’imposer aux juridictions.

 

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