Pacte Dutreil et société ayant une activité mixte : du nouveau

Le Pacte Dutreil exonère de droits d’enregistrement, sous certaines conditions, la transmission à titre gratuit de titres de sociétés. Et ce, à hauteur de 75% de la valeur des titres. La législation, au travers du “Pacte Dutreil”, offre ainsi un cadre juridique et fiscal qui facilite la pérennité des entreprises familiales et la transmission des titres de société par donation et succession. (Voir notre article Transmission de l’entreprise familiale avec le Pacte Dutreil). Comment estimer la prépondérance d’une activité permettant l’éligibilité d’une société au Pacte Dutreil ?

Le pacte Dutreil concerne les sociétés exerçant une activité commerciale, industrielle, artisane, agricole ou libérale. Ainsi que la (ou les deux) société (s) holding(s) interposée(s) dans certains cas précis.

Mais qu’en est-il des entreprises ayant une activité mixte, incluant une activité civile comme la location immobilière, non éligible au pacte Dutreil ?

Valoxy, cabinet d’expertise comptable dans les Hauts de France, revient dans cet article sur les éléments qui permettent d’établir l’éligibilité d’une entreprise au Pacte Dutreil.

Pour rappel, la doctrine administrative et la jurisprudence admettent que le Pacte Dutreil peut s’appliquer pour les titres de sociétés mixtes, lorsque l’activité non éligible (activité civile de location) n’est pas prépondérante par rapport à une activité éligible. (activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale). Il faut donc jauger l’importance des activités (leur “prépondérance”).

Auparavant, pour l’administration fiscale, la prépondérance d’une activité découlait des deux critères cumulatifs suivants :

  • le chiffre d’affaires issu de l’activité éligible doit représenter au moins 50 % du CA total de la société ;
  • le montant de l’actif brut immobilisé au bilan doit représenter au moins 50 % de l’actif brut total.

Doctrine administrative modifiée

La doctrine administrative a été modifiée, suite à un arrêt du Conseil d’Etat en date du 23 janvier 2020 (n°435562). Désormais, le caractère de prépondérance de l’activité éligible au dispositif s’apprécie en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice”. Mais quels sont ces indices ?

Un arrêt de la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 12 mars 2024, RG n°23/01551) a procédé à “l’examen de 7 critères proposés à son examen et/ou retenus par elle à titre d’indices” afin de déterminer dans quelles conditions une activité mixte pouvait être éligible au Pacte Dutreil.

Il aura en effet fallu près de 12 ans de procédure et plusieurs renvois pour enfin disposer d’un éclairage sur les critères à retenir pour déterminer dans quelles conditions une société ayant une activité mixte peut bénéficier du dispositif de l’article 787 B du CGI.

La Cour d’appel de Versailles, statuant sur renvoi d’un arrêt de la Cour de cassation, vient de rendre son arrêt en date du 12 mars 2024.

En l’espèce, un contribuable avait reçu, par succession, les titres d’une société exploitant une galerie d’art, éditant des livres d’art et donnant en location une partie de son patrimoine immobilier. La question était de savoir si les titres de la société pouvaient bénéficier du Pacte Dutreil, dans la mesure où la société avait une activité civile (la location immobilière- activité non éligible au pacte Dutreil) et une activité commerciale.

La question était ainsi de savoir ce que recouvre cette notion de prépondérance et ce faisceau d’indices. La Cour d’appel de Versailles, répondant aux arguments du contribuable, a énuméré les 7 critères qui lui étaient présentés. Elle s’est prononcée sur le caractère – probant ou inopérant – de chacun.

Le caractère historique de l’activité de la société

Le contribuable mettait en avant le caractère commercial historique de la société. En effet, la société exerçait une activité de galerie d’art depuis la fin du 18ème siècle. Mais la Cour a considéré qu’il fallait s’attacher à la nature de l’activité de la société au moment du fait générateur, c’est à dire le décès, et par voie de conséquence, les années antérieures à ce décès. En l’espèce, l’activité de la société avait évolué depuis sa création…  et le caractère historique de l’activité de la société n’a pas été retenu. Le critère est donc inopérant.

L’affectation du personnel à l’activité commerciale 

Le contribuable mettait en avant la prépondérance de l’activité commerciale par rapport à l’activité civile de location dans la mesure où le personnel dédié à l’exploitation était prépondérant. La Cour a relevé que non seulement la gestion locative n’est, en soi, pas chronophage mais qu’en plus, la gestion locative était confiée à un tiers.

Il n’est donc pas possible de se prévaloir d’un effectif salarié prépondérant par rapport à une activité de location : le critère est inopérant

Le taux d’actif immobilisé 

La Cour d’appel rappelle que ce critère n’est pas non plus un critère pertinent dans la mesure où « l’inscription comptable d’un bien au rang des actifs immobilisés d’une société n’a pas de lien avec son affectation professionnelle ou patrimoniale ».

La Cour d’appel a ainsi rappelé que ce critère, retenu à tort par les juges de première instance, depuis abandonné par la jurisprudence administrative, est dénué de pertinence. (En effet, le début de l’affaire remonte à 2013, la doctrine a été modifiée en 2020 et la CA de Versailles se prononce en 2024)

En l’espèce, le principal actif de la société est le bien immobilier. Dans la mesure où l’inscription comptable ne tient pas compte de l’affectation d’un bien à une activité éligible ou pas, ce critère n’est pas retenu.

La valeur vénale des actifs affectés à l’activité commerciale

En revanche, pour la Cour, un des critères déterminants est de savoir quelle est la part que représente « dans la valeur totale de l’actif brut de la société, la valeur vénale de ses actifs affectés à son activité commerciale » 

En l’espèce, l’immeuble en cause était estimé à près de 38 M€, la valeur des locaux dédiés à l’activité commerciale représentait 11 M€ contre près de 27 M€ pour la partie louée à des tiers. Même en prenant en compte les stocks d’œuvres d’art – près de 500 K €- et l’actif circulant de la société – plus de 2,5 M€ – la valeur vénale des actifs consacrés à l’activité commerciale était bien inférieure à la valeur totale des actifs de l’entreprise – immobilier compris-. Ce critère a donc une place déterminante.

La surface de l’immeuble

Dans le cas présent, le contribuable avait rapporté que 47% de la surface de l’immeuble était consacrée à l’activité de galerie d’art et que le reste, 53%, était loué dans le cas d’une activité civile.

Ainsi, la surface consacrée à l’activité éligible était minoritaire et constitue un indice complémentaire, et déterminant.

Le chiffre d’affaires tiré de l’activité commerciale

Sur ce 6ème critère, la Cour a rappelé que la vente de marchandises sur les derniers exercices était inférieure au chiffre d’affaires global de la société qui comprenait les locations immobilières.

En effet, l’activité civile représentait entre 70% et 80% du chiffre d’affaires global sur la période. Le chiffre d’affaires lié à l’activité commerciale était là encore minoritaire.

De plus, le résultat d’exploitation de l’activité commerciale était déficitaire. Et, en tout état de cause, inférieur à l’activité civile. La part de chiffre d’affaires tient, là aussi, une place déterminante.

L’affectation des recettes à l’activité commerciale

Le contribuable avait avancé comme dernier argument le fait que la société affectait la majeure partie de ses recettes à l’activité commerciale. La Cour a estimé que ce critère était inopérant dans la mesure où cette stratégie répondait à un choix de gestion. Cela ne démontrait pas que l’activité commerciale était l’activité prépondérante.

Elle en a déduit également que ce n’est pas l’affectation des recettes mais surtout l’origine des recettes (critère précédent) qui détermine la nature de l’activité considérée. Ce critère est également inopérant.

En conclusion,

la Cour a étudié 7 critères et en a retenu 3, déterminants pour estimer la prépondérance de l’activité de la société :

  • La valeur vénale de l’actif affecté à une activité éligible doit être prépondérante par rapport à la valeur totale du bilan
    • Dans le cadre de stratégies futures, il conviendra de veiller à réaliser les arbitrages nécessaires pour répondre à ce critère ;
  • La surface consacrée à l’activité éligible doit être prépondérante par rapport à l’activité civile
    • Ce critère concerne essentiellement les sociétés mixtes qui disposent d’un actif immobilier. La détention d’actifs financiers ne semble pas concernée par ce critère
  • La part du chiffre d’affaires de l’activité éligible doit être prépondérant par rapport au chiffre d’affaires global. (y compris les revenus immobiliers et/ou financiers).

Cet arrêt nous apporte des clefs pour appréhender les critères essentiels à retenir pour estimer la prépondérance et juger d’un faisceau d’indices. L’enjeu étant de taille puisqu’il permet de bénéficier d’un abattement de 75% de la valeur des titres transmis.

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