L’Union européenne (UE) dispose depuis 2005 d’un marché du carbone pour mesurer, contrôler et réduire les émissions en gaz à effet de serre (GES) de ses grands acteurs industriels, et de ses producteurs d’électricité. Le système mis en place fait payer les entreprises en fonction de leur impact sur le changement climatique, et les incite à baisser progressivement leurs émissions de carbone.
Comment fonctionne ce marché ? À quoi sert-il ? Quelles sont les évolutions à prévoir ? Valoxy, cabinet d’expertise comptable dans les Hauts de France, répond à ces questions.
— Quel est l’objectif du marché du carbone européen ?
L’objectif de l’Europe est d’atteindre la “neutralité climatique” à l’horizon 2050. Il faudra alors avoir trouvé un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) émises et leur absorption dans des puits de carbone naturels (sols, océans…) ou artificiels. Ce qui suppose de réduire “l’empreinte carbone” des activités économiques. (Voir notre article Petit lexique du réchauffement climatique à usage des entreprises).
Le mécanisme du marché du carbone, aussi appelé « Système d’échange de quotas d’émissions » (SEQE), ou « Emissions Trading Schemes » (ETS) en anglais, consiste à faire payer aux entreprises leurs émissions de CO2. Les industriels et électriciens soumis à ce marché doivent présenter un “quota carbone” pour chaque tonne de CO2 émise. (Un “quota carbone” est un “titre” correspondant à une tonne de CO2 (ou d’équivalent CO2) émise dans l’atmosphère).
Ainsi, plus le prix du carbone est élevé, plus les entreprises seront incitées à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).
Au départ, lors du “lancement” du marché carbone, l’UE avait pour objectif de réduire de 40 % les émissions de CO2 en 2030 par rapport à 1990. Ses ambitions ont été revues à la hausse en 2020, en affichant un objectif de réduction de 55 %.
— Comment fonctionne le marché ?
L’UE fixe chaque année un “plafond” d’émissions totales de CO2 sur son territoire. Elle « distribue » ensuite des “quotas d’émission » à près de 11.000 sites industriels, responsables d’environ 45 % des émissions de CO2. Plus de 2,2 milliards de quotas carbone ont été distribués aux entreprises en 2020.
En fin d’année, toutes les entreprises doivent restituer le même nombre de quotas d’émissions que le nombre de tonnes de CO2 qu’elles ont émises.
Pour obtenir ces quotas, les entreprises peuvent les acheter sur le marché. (aux entreprises qui en ont trop). Les autorités européennes organisent aussi régulièrement des enchères, les « European Energy Exchange » (EEX). Certains secteurs industriels reçoivent cependant encore une bonne partie de leurs quotas gratuitement. Les entreprises peuvent également conserver leurs quotas non utilisés pour l’année suivante.
Le mécanisme incite donc en principe les industriels à réduire leurs émissions de CO2. En cas de non restitution du nombre requis de quotas, les entreprises encourent une amende fixée à 100 euros par tonne de CO2 non compensée.
L’Union européenne est la première entité politique à avoir instauré un marché du carbone, mais de nombreux autres pays (ou ensembles de pays) disposent de leur propre système. “L’ensemble des juridictions mettant en œuvre un prix du carbone représente environ 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES)”, annonce l’Institut de l’Économie pour le Climat. Compte tenu des modes de calculs différents, des exonérations, et de la prise en compte des taxes sur les émissions, “seules 20 % des émissions anthropiques de GES sont couvertes par un prix du carbone”, précisent les chercheurs.
Voir notre article Le plan de sobriété énergétique
— Comment sont distribués les quotas ?
Les autorités européennes mettent régulièrement des quotas carbone aux enchères sur une plateforme appelée « European Energy Exchange » (EEX). 57 % des quotas ont été vendus aux enchères entre 2013 et 2020. L’UE s’est cependant fixée pour objectif d’augmenter progressivement ce niveau.
En 2020, les ventes aux enchères ont rapporté près de 20 milliards d’€ à l’UE, redistribués entre les Etats membres. Ceux-ci doivent réinvestir au moins 50 % de leur valeur dans le développement durable.
Le pourcentage restant de quotas (43%) est distribué gratuitement aux industries fortement soumises à la concurrence étrangère. Cela permet d’éviter la délocalisation des activités hors de l’UE si la réglementation environnementale devenait trop sévère. L’objectif de l’UE est cependant de diminuer progressivement cette quantité de “quotas gratuits”.
En raison d’une activité difficilement “délocalisable”, les centrales électriques ne reçoivent plus de quotas carbone gratuits depuis 2013.
— Quel est le prix du quota ?
La loi de l’offre et de la demande fixe les prix des quotas carbone. Si la pression est forte sur ces « droits à polluer », le prix de la tonne de carbone augmente. C’est le cas lorsque l’UE abaisse son plafond d’émissions totales de CO2. L’UE a ainsi réduit le nombre de quotas carbone de 1,74 % par an entre 2012 et 2020. Depuis 2021, le nombre de quotas carbone diminue de 2,2 % par an, ce qui incite les entreprises à réduire leurs émissions.
Les objectifs à long terme de l’UE sont de faire monter le prix de la tonne de carbone. En janvier 2014, un quota carbone s’achetait 5 € en moyenne, un prix trop bas qui n’incitait pas les entreprises à réduire leurs émissions. En 2021, le prix du gaz (plus cher) et l’arbitrage vers le charbon (plus polluant) ont fait passer le prix d’un quota carbone de 37 € à 80 € la tonne.
— Quelles sont les entreprises concernées ?
En 2022, les règles du marché du carbone (ETS) s’appliquent au dioxyde de carbone (CO2) émis par :
- les centrales produisant de l’électricité et de la chaleur, et
- les principales industries polluantes. Il s’agit de la sidérurgie, de l’industrie du verre, des raffineries de pétrole, des usines chimiques et des cimenteries,
d’une puissance supérieure à 20 mégawatts (MW), soit autour de 11 000 sites, usines ou centrales. Le secteur de l’aviation avait été inclus dans l’ETS en 2012, mais pour les seuls vols intra-européens.
Tous les Etats de l’Union européenne sont concernés, ainsi que l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. La Suisse dispose d’un système similaire, couplé avec le marché du carbone européen depuis 2020.
— Quelle est l’efficacité du marché carbone ?
L’émission de trop nombreux quotas a longtemps rendu le marché carbone inefficace. Leur prix, le prix du « droit à polluer » ne dépassait pas 10 € la tonne. Les entreprises n’étaient donc pas incitées à réduire leurs émissions de carbone.
En 2019, l’UE a mis en place un mécanisme de “réserve de stabilité du marché” (MSR pour « Market Stability Reserve »), destiné à retirer automatiquement le surplus de quotas au-delà d’un certain seuil.
L’efficacité du mécanisme dépend des secteurs. Les émissions du secteur de l’électricité ont baissé de près de 30 % entre 2013 et 2019, alors que celles de l’industrie n’ont diminué que d’un peu plus de 2 %. La distribution gratuite de quotas carbone est la cause principale de cette inefficacité, et l’objet de discussions au Parlement européen entre les grands axes :
- du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui met sur un pied d’égalité les industries européennes avec leurs concurrents extérieurs à l’Union,
- de la protection de l’industrie européenne contre les délocalisations,
- des idées politiques, entre le nationalisme exacerbé des uns, et les principes vertement colorés des autres,
- …
Une réforme à venir
Une réforme du marché du carbone est actuellement en discussion au Parlement européen. (Voir notre article “La réforme du marché du carbone”). En plus de modifications “techniques” du système (régulation, surveillance, etc.), le marché devrait prochainement s’étendre aux usines d’incinération des déchets, au transport maritime, au chauffage des bâtiments et au transport routier. L’UE souhaite aussi créer un “Fonds social pour le climat” afin d’aider les Européens les plus fragiles à encaisser le choc.
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