Les relations commerciales ont pour vocation à s’installer dans le temps. Mais il arrive que ces relations, soumises aux aléas de la vie des entreprises, soient remises en cause, voire rompues. En effet, bien qu’assis sur des engagements commerciaux, un contrat reste soumis aux aléas de ses cocontractants. D’où l’intérêt de prévoir un encadrement de la rupture brutale des relations commerciales.
Le nouvel article 1211 du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, encadre la rupture. Il dispose désormais que chaque partie à un contrat à durée indéterminée peut le rompre librement. Il faut évidemment respecter le délai de préavis qui y est fixé ou, à défaut, un délai raisonnable. Dans cette hypothèse, ce qui importe c’est la façon dont la relation commerciale est rompue.
Le Code de commerce condamne plus précisément le fait de rompre de façon brutale, sans préavis, ou sans préavis suffisant, partiellement ou totalement, une relation commerciale établie (qui doit donc être avérée), excepté dans les cas de force majeure, ou d’inexécution des obligations. La caractérisation d’une rupture brutale entraîne l’engagement de la responsabilité de la partie fautive.
Valoxy, cabinet d’expertise comptable dans les Hauts de France, revient dans cet article sur cet aspect des relations commerciales et contractuelles.
I La caractérisation de la rupture brutale des relations commerciales établies
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L’existence de relations commerciales établies
La jurisprudence s’est posée la question de savoir ce que recouvrait réellement la notion de relation commerciale. La Cour de cassation retient « tout type de relation contractuelle, formalisée par un écrit ou non, à durée déterminée ou indéterminée, continue ou discontinue ». Cette conception étendue des relations commerciales est notamment accentuée par l’attitude des juges qui n’excluent que très rarement l’existence d’une telle relation. Il n’existe que quelques rares situations dans lesquelles une relation commerciale n’est pas reconnue.
Ensuite, la relation commerciale établie se caractérise par les notions de suivi, de stable, et d’habituel. La partie victime de la rupture peut raisonnablement anticiper la continuité de la relation grâce à ces éléments. Il convient de mettre de côté les relations dites précaires. Du fait de leur nature, certaines opérations ne peuvent revêtir un caractère de stabilité. C’est par exemple le cas du renouvellement d’un contrat engendré par un nouvel appel d’offre. Dans cette situation, la poursuite du contrat n’est pas « garantie » pour l’une des parties .
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Rupture des relations
La rupture totale d’un contrat est une situation plutôt simple à appréhender. Il s’agit en effet dans ce cas d’un non renouvellement ou d’une résiliation unilatérale. Dans cette hypothèse, la rupture est facilement observable. La modification des termes du contrat de manière désavantageuse décidée unilatéralement par l’une des parties peut également s’apparenter à une rupture totale des relations commerciales.
La rupture partielle est plus difficile à appréhender, car elle est moins palpable. Elle se caractérise le plus souvent par une baisse d’activité. Cependant, il convient de noter que toute baisse du chiffre d’affaires engendrée par la diminution du flux d’affaires ne peut systématiquement s’assimiler à une rupture partielle du contrat.
Il est nécessaire d’examiner au cas par cas les raisons pouvant amener à la diminution de l’activité commerciale. Il fut admis que la diminution de prises de commandes par un donneur d’ordre, subissant lui-même un affaiblissement de son activité commerciale ne pouvait être assimilée à une rupture partielle. Celle-ci résulte donc d’un comportement délibéré du donneur d’ordre.
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Brutalité
La brutalité de la rupture d’une relation commerciale s’évalue nécessairement en fonction de la relation entretenue par les parties, et plus précisément en fonction de sa durée. Il serait préjudiciable pour toute partie au contrat d’exiger un préavis excessivement long si la relation, bien que stable et continue, avait été brève.
La détermination d’un préavis suffisant en fonction de la durée de la relation commerciale a entraîné de nombreux contentieux, aussi les juges disposent-ils d’un pouvoir d’appréciation assez large dans ce domaine. Au fil des décisions, une mesure de calcul du préavis s’est dégagée ; un ratio d’un mois de préavis pour une année de relation. Cette idée ne constitue cependant pas un principe général et les exceptions sont fréquentes.
Cependant d’autres éléments peuvent être pris en compte, notamment la dépendance économique d’une partie envers l’autre. Cette situation se rencontre lorsqu’une entreprise est dans l’impossibilité de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations qu’elle a nouée avec une autre entreprise. Dans ce cas, il faut laisser un certain délai à la partie victime afin de trouver une solution de substitution.
Dans certains cas enfin, il y aura exonération de responsabilité, même si aucun préavis n’a été respecté. Cette hypothèse est admise en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations contractuelles, ou encore en cas de force majeure.
La rupture doit-elle être motivée ? A aucun moment la disposition légale concernant le régime de la rupture brutale ne mentionne l’exigence d’avancer les raisons poussant à la rupture. Le législateur engendre ainsi une certaine insécurité juridique !
II L’engagement de la responsabilité délictuelle de l’auteur à des fins de réparation du préjudice
La Cour de cassation retient que la rupture brutale des relations établies constitue un délit civil. La faute caractérisée par la rupture brutale relève en conséquence du champ délictuel et non contractuel.
Ce principe se justifie par le fait que l’indemnisation accordée à la victime de la rupture brutale des relations a vocation à réparer le préjudice lié au caractère brutal de la rupture, et non de réparer le dommage né de l’inexécution des obligations contractuelles. Il appartient au juge du fond de faire la différence entre les deux préjudices.
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Préjudice indemnisable
Deux paramètres semblent essentiels pour évaluer le préjudice indemnisable. Si, tout d’abord, la réparation du préjudice dépend de la période d’insuffisance du préavis, il convient ensuite de déterminer une marge indemnisable.
Les juges, pour évaluer le préjudice, doivent déterminer la différence entre le préavis appliqué à la rupture et le préavis qui aurait dû être respecté suite aux accords commerciaux existants. La différence entre ces deux préavis permettra d’évaluer l’importance du préjudice subi. Lorsqu’aucun préavis n’a été appliqué, on ne peut faire de comparaison avec le préavis légitimement attendu. Ensuite, le chiffre d’affaires réalisé avec l’auteur de la rupture permet également de déterminer le préjudice indemnisable.
La victime peut aussi solliciter des dommages et intérêts pour un préjudice autre que celui de la perte financière. Il peut s’agir d’un préjudice moral résultant du comportement de l’auteur. A contrario, certains éléments peuvent conduire à diminuer l’indemnité allouée en réparation du préjudice, comme le comportement de la victime.
Un cas spécial provoque une adaptation de l’indemnité. C’est en effet l’hypothèse dans laquelle la victime était dans une situation de dépendance économique à l’égard de son cocontractant, auteur de la rupture. C’est l’exemple d’un commerçant qui s’approvisionnait pour l’ensemble de son commerce chez un seul fournisseur. Le commerçant était donc dépendant de celui-ci. Si ce dernier rompt le contrat, le commerçant ne peut plus exercer son activité.
Un tiers est légitime à invoquer la rupture brutale des relations commerciales en agissant contre l’auteur sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Cependant la Cour de cassation refuse de reconnaitre le préjudice par ricochet. La Haute juridiction a eu l’occasion de débouter un actionnaire de sa demande en réparation du préjudice subi « par ricochet », du fait de la rupture brutale des relations commerciales qu’établissait la société dont il était actionnaire.
EN CONCLUSION
La liberté contractuelle demeure le principe fondateur du droit des contrats. Elle implique la liberté de contracter ou de ne pas contracter. Mais dans un contexte économique difficile et en mutation constante, rompre une relation d’affaires avec un distributeur, un fournisseur, un prestataire, un sous-traitant doit être anticipé avec prudence pour ne pas tomber sous le coup du délit civil de rupture brutale des relations commerciales établies.
Enfin, en cas de contentieux, des règles de compétence particulières ratione materiae et ratione loci s’appliquent. Ce sont les aptitudes d’une juridiction à reconnaître des infractions en fonction de leur nature ou du lieu où elles ont été commises. La Cour de cassation retient la compétence des juridictions commerciales. Cependant, afin d’assurer une homogénéité dans l’interprétation de la notion de la rupture des relations commerciales en première instance, seuls huit Tribunaux de commerce sont compétents. Il s’agit de Marseille, Bordeaux, Lille, Fort de France, Lyon, Nancy, Paris, et Rennes. En appel, c’est la Cour d’appel de Paris qui détient une compétence exclusive.
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